Le Triangle d’Or: Haut-Lieu de la Culture l’Opium
Illicitement implantées dans les hauteurs des zones montagneuses de l’Asie du Sud-Est, aux confins du Laos, de la Birmanie, de la Thaïlande (particulièrement dans la province de Chiang Rai) et du Vietnam, les plantations d’opium du Triangle d’or s’érigent depuis la 2e moitié du 20e siècle en plaque tournante du trafic international de stupéfiants après l’Afghanistan post-talibans.
Avec une superficie record de plus de 950 000 km², marquée par des reliefs inconstants et un climat tropical, cette zone à cheval entre plusieurs Etats accueille de nombreuses tribus traditionnelles parfois hostiles aux gouvernements centraux, et échappe par conséquent aux contrôles du fait de ses nombreuses particularités géographiques, météorologiques et démographiques. Décryptage.
Triangle d’Or: Des conditions optimales pour une production massive
Les frontières du Laos, de la Thaïlande et de la Birmanie se rejoignent à Sop Ruak, considéré comme le centre « théorique » du Triangle d’or, à la confluence de la Nam Ruak et du Mekong.
Aux considérations géographiques complexes, qui se matérialisent par une altitude rarement inférieure à 1 000 mètres et des forêts denses difficilement accessibles, s’ajoutent des contraintes politiques qui compliquent davantage la tâche des pays concernés.
En effet, le pays des Wa, contrôlé par Bao Youxiang, est de facto l’acteur le plus influent du Triangle d’or. Le Wa est un Etat non reconnu par la communauté internationale, situé à l’intérieur de la Birmanie, et régulièrement secoué par des escarmouches entre l’armée régulière et les séparatistes de l’United Wa State Army. Aussi, la culture du pavot dans la région est favorisée par la tradition des nombreuses minorités ethniques qui s’y sont établies à diverses époques de l’Histoire.
Le double jeu de la Birmanie
La Birmanie est aujourd’hui considérée comme le second plus gros producteur d’opium au monde après l’Afghanistan. Si la capitulation de la Mong Taï Army en janvier 1996 a été présentée par Yangon comme un coup fatal asséné aux narcotrafiquants du Triangle d’or, le manque de volonté politique et de moyens financiers continue d’entraver les efforts des gouvernements successifs.
Certains évoquent même un conflit d’intérêt entre le gouvernement birman et les organisations qui luttent contre le trafic de drogue, accusant la junte militaire de fermer l’œil pour des raisons économiques. Selon un rapport de l’ambassade des Etats-Unis en Birmanie paru en 1996, « l’export des opiacés atteint la même valeur que le cumul de tous les exports licites ». Le rapport affirme également que la majorité des investissements en infrastructures touristiques proviennent des revenus de l’opium et de l’héroïne. Une investigation de 4 ans a par ailleurs conclu que la MOGE (Myanmar Oil and Gas Entreprise) était « le principal canal de blanchiment des revenus générés par l’héroïne produite et exportée avec l’aval de l’armée birmane ».
La situation s’était pourtant nettement améliorée au début du millénaire, puisque la production de pavots avait baissé de plus de 80% entre 1998 et 2006 à la suite d’une large campagne d’éradication menée dans le Triangle d’or. Seulement, la production croîtra encore une fois de près de 30% entre 2006 et 2007. Les experts de l’Office des Nations unies contre la drogue et le crime attribuent cette rechute à la corruption, à la pauvreté et à l’incapacité du gouvernement birman à gérer la totalité de son territoire.
Les bénéfices intermédiaires conséquents encouragent le trafic
Avec une géographie parfaitement adaptée et un climat propice à sa culture, l’opium produit dans les hauteurs du Triangle d’or est de qualité exceptionnelle, si bien qu’il est transformé sur place en héroïne: le logo des « deux lions entourant un globe » est aujourd’hui mondialement connu des trafiquants de drogue et des consommateurs d’héroïne dans le monde entier.
La drogue produite au nord-est de la Birmanie est transportée à cheval ou à dos d’âne jusqu’aux « raffineries » dans la frontière birmano-thaïlandaise, où sa production est « finalisée » pour ensuite s’exporter dans les régions voisines.
Dans la région de productions et ses alentours, le kilo d’opium est vendu à 200 euros selon le journal chinois Waitan Huabao. En Chine, dans la province du Yunnan qui accueille de nombreuses minorités ethniques que l’on retrouve également dans les pays du Triangle d’or, les prix atteignent 400 euros. A Shanghai, Canton ou Pékin, les tarifs dépassent souvent les 1 000 euros. A Hong Kong, il faut compter 5 300 euros, tandis que le kilo se vend à 12 000 euros aux Etats-Unis.
L’héroïne produite en Asie du sud-est est acheminée aux Etats-Unis via les fameuses mules, ou passeurs de stupéfiants transfrontaliers. Ce sont le plus souvent des ressortissants thaïlandais ou américains qui voyagent à bord de vols commerciaux. La Californie et Hawaï sont les principales portes d’entrée des stupéfiants asiatiques sur le sol américain, mais il semblerait que les villes de New York et Washington soient de plus en plus ciblées par les trafiquants.
Si les rangs des narcotrafiquants grossissent à vue d’œil malgré les risques exponentiels, c’est que les bénéfices intermédiaires sont colossaux, à fortiori pour des populations qui vivent le plus souvent sous le seuil de pauvreté.
Triangle d’Or: Le modèle thaïlandais
Contrairement à la Birmanie et au Laos, la politique d’éradication de la culture d’opium, en Thaïlande, s’est montrée globalement efficace, notamment grâce aux nombreuses alternatives économiques qui ont été proposées aux populations dans le nord du pays sous l’impulsion de la famille royale. Une unité policière spéciale a été créée en 2011 pour lutter contre les trafics qui transitent par le Mékong, mais aussi pour éradiquer les résidus de la production qui subsistent dans la région.